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Le 1er septembre 2020, Magda Bou Dagher Kharrat, Professeure à la Faculté des Sciences de l’Université Saint Joseph, co-fondatrice et Présidente de l’ONG JOUZOUR LOUBNAN, a accompagné le Président français, M. Emmanuel Macron, dans la Réserve Naturelle de Jaj pour planter un cèdre à l’occasion du centenaire du Liban. Elle a accepté de partager ses réflexions avec le partenariat EduBioMed sur ce symbole, sur la situation libanaise et mondiale et son impact sur l’écologie et la jeunesse.
En cette période délicate au vu des conditions politiques, sociales et sanitaires, que signifie l’acte de planter un cèdre? Quel en est le symbole pour les Libanais(es)?
L’acte de planter un cèdre, l’emblème de notre pays à l’aube de son 2ème centenaire, a une symbolique particulière : notre attachement à la terre de notre patrie. L’initiative du Président Macron souligne l’attachement de la France au Liban. Sans arbres, le sol – mémoire de l’histoire et de toute la vie qui s’est perpétuée par-dessus – s’érode et s’en va… sans son peuple le Liban se démantèle et son identité se dissipe. Dans ce contexte difficile, beaucoup de libanais émigrent. En plantant un cèdre avant de partir on fait la promesse à notre pays de revenir, une sorte de gage vivant qui nous ramènera un jour au Liban.
De quelles façons les questions environnementales font partie du processus de reconstruction du Liban?
En temps de crise toute l’attention est portée sur la survie immédiate des humains : se protéger du virus, reconstruire sa maison, assurer son pain quotidien. Nous avons tendance à détourner notre attention des questions environnementales qui ne sont pas urgentes mais très importantes. On le sait les crises environnementales sont silencieuses. Les espèces se raréfient et disparaissent, l’atmosphère s’empoisonne et causera des maladies respiratoires et des cancers plus tard, il en est de même de la pollution de l’eau et du sol! Les cas sont dilués et dispersés, notre qualité de vie se dégrade petit à petit et quand on s’en rend compte, il est souvent trop tard. C’est pour cela qu’il faut rester vigilants. Il faut que le travail à court terme dans l’urgence se fasse en parallèle avec le travail continu, de longue durée et à long terme pour la sauvegarde de l’environnement. En reconstruisant notre ville, gardons en vue les questions environnementales.
Comment les jeunes et les universités peuvent-ils aider?
Les jeunes libanais sont le seul espoir du Liban. En restant mobilisés, en prenant à cœur la mission de donner sa voix à la nature silencieuse ils peuvent changer la donne. Tous ces jeunes mobilisés après l’explosion ont affaire à des quantités énormes de remblais des constructions, des vitres cassées, des matériaux à recycler. On voit déjà apparaître des initiatives innovantes transformant ces déchets en ressources, transformant la catastrophe en opportunité. Nos jeunes ont le savoir et le savoir-faire, ils portent une partie de la responsabilité de la reconstruction durable de Beyrouth. La reconstruction doit se faire selon des normes plus écologiques, moins polluante, moins envahissante en respect de la nature.
N’oublions pas que la nature est aussi notre refuge ultime. Beaucoup de libanais qui n’ont pas été touchés physiquement souffrent moralement. Et ces séquelles sont longues à guérir et peuvent ressurgir à la moindre égratignure. Être en contact de la nature, planter, restaurer, soulage et donne de l’espoir en un demain meilleur. La nature absorbe nos peines et adoucit notre existence. Elle nous remet à notre place dans le cercle de la vie. On relativise…
Qu’est ce que Jouzour Loubnan?
Jouzour Loubnan est une ONG libanaise que j’ai co-fondée en 2008 avec des amis avec qui je partage le principe qu’on a le devoir de restaurer les écosystèmes forestiers détruits par les humains. La mission première de Jouzour Loubnan est de restaurer la couverture forestière du Liban, encourager les communautés locales à protéger, gérer, promouvoir et profiter de ces projets et à Sensibiliser les générations futures. Le partenariat scientifique de Jouzour Loubnan avec la Faculté des sciences de l’USJ est exemplaire. Nous restaurons les écosystèmes en nous basant sur des données scientifiques acquises par des scientifiques de haut niveau. La compréhension du fonctionnement de l’écosystème et ses particularités nous assure de meilleures chances de succès dans nos projets de restauration des forêts.
Qu’est ce que l’initiative “adopter un cèdre”?
Adopter un cèdre est une initiative que Jouzour Loubnan a lancé il y a 4 ans maintenant. Elle consiste à donner la possibilité à tout un chacun, incapable de venir avec nous sur le terrain pour planter un cèdre, d’en adopter un que nous planterons pour lui et en prenons soin. Ce cèdre répertorié par un point GPS unique et qui peut à la demande porter un badge nominatif peut être visité. La contribution financière pour cette adoption est ponctuelle, elle se fait en ligne à travers une plateforme dédiée à cet effet. Elle est accessible depuis le monde entier. J’ai été très touchée l’année dernière quand une quinzaine de jeunes libano-brésiliens sont venus au Liban pour la première fois de leur vie, et la première étape de leur visite fût monter voir les petits cèdres que la diaspora libanaise de leur pays a adopté à leur nom !
Adopter un cèdre et offrir le certificat d’adoption est un cadeau plein de sens qui peut se faire pour diverses occasions.
Quelle est l’importance du projet EduBioMed dans le système libanais d’éducation supérieure ?
Le projet EduBioMed formalise le partenariat « Réserves de la biosphère – milieu académique ». Il nous donne une occasion concrète de tisser ce lien indispensable qui profitera aux deux protagonistes ! C’est une sorte de plateforme de rencontre où on ne peut que tomber amoureux l’un de l’autre. Pour les étudiants et leurs encadrants ces immersions totale dans le vif du sujet donnant l’occasion de réaliser des actions de conservation concrètes. Pour la réserve de la biosphère, c’est profiter de ressources humaines qualifiées et compétentes qui leur permettra de mettre en avant leurs richesses et leurs particularités et garder l’équilibre fragile « Homme – Nature ». Dans le cadre du contexte de crise actuelle, EduBioMed constitue une pierre angulaire dans l’édifice de l’éducation à l’environnement et la formation des professionnels environnementaux de demain.
Pensez-vous que nous sommes témoins d’un nouveau départ en terme de communication entre les académiques, les praticiens et les décideurs politiques?
Le projet EduBioMed a jeté des ponts entre les milieux académiques et les gestionnaires des réserves de la biosphère. Ces ponts sont solides et les terrains qui seront balisés dans le cadre de ce projet visionnaire seront empruntés par plusieurs générations de jeunes qui choisissent de se former dans ce domaine. EduBioMed laissera une trace positive indélébile sur l’environnement.